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L'écologie des estrans bretons

La structure des estrans

     1. L'estran, un milieu organisé en différents étages

L'estran est structuré en trois grandes zones distinctes, correspondant à différents étages, appelés le supralittoral, le médiolittoral et l’infralittoral. Un étage est défini comme l’espace vertical du domaine benthique marin où les conditions écologiques, sont sensiblement constantes ou varient régulièrement entre les deux niveaux critiques marquant les limites de l’étage. Chaque étage présente des associations d’espèces particulières, adaptées à ses conditions écologiques.

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Étagement caractéristique d’un estran sur les côtes bretonnes - © PatriNat, 2022

L’étage supralittoral est la véritable zone de transition entre le domaine terrestre et le domaine marin. Sa limite supérieure est marquée par le développement des premières plantes vasculaires terrestres, et sa limite inférieure par le niveau atteint par les pleines mers de vives- eaux. Il est essentiellement soumis aux embruns mais sa partie inférieure peut être recouverte exceptionnellement par la marée, lors de tempêtes ou lors des pleines mers de vives-eaux exceptionnelles. Il est colonisé par des organismes supportant une émersion continue, tels que des Gastéropodes (la littorine bleue Melarhaphe neritoides), des Crustacés (la ligie Ligia oceanica), des lichens et des cyanobactéries. C’est une zone très étroite en milieu abrité, mais qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres de dénivelés dans les secteurs de falaises soumis aux embruns des grandes houles des tempêtes océaniques.

L’étage médiolittoral constitue l'essentiel de la zone intertidale, il se situe entre la limite des pleines mers de vives-eaux moyennes et celle des basses mers de vives-eaux moyennes. Cet étage est subdivisé en trois niveaux : supérieur, moyen et inférieur, chacun caractérisé par quelques espèces dominantes. Le médiolittoral est caractérisé par des espèces animales et végétales adaptées à des émersions et des immersions prolongées et quotidiennes. Dans les estrans rocheux, le médiolittoral présente un étagement marqué en particulier par des ceintures de macroalgues brunes caractéristiques.

Plus bas sur l’estran débute l’étage infralittoral qui est divisé en deux niveaux : supérieur et inférieur. Seul le niveau supérieur peut être partiellement émergé lors des basses mers de vives-eaux. Les espèces qui y vivent exigent une immersion continue ou quasi-continue. En milieu rocheux breton, il se caractérise essentiellement par la présence des laminaires. Sa limite inférieure est marquée par la fin des champs de grandes algues (principalement des forêts de laminaires) et/ou des phanérogames photophiles en substrat meuble (herbiers de zostères).

     2. Un milieu structuré par le rythme des marées et ses contraintes :

Le milieu intertidal est riche d’une biodiversité étonnante et particulière qui doit faire face à de nombreux facteurs abiotiques et biotiques variant selon plusieurs rythmes. Le rythme tidal se surimpose aux rythmes nycthéméraux, saisonniers et solaires, ce qui en fait un milieu de vie très contraignant. Entre le supralittoral et l’infralittoral, les gradients d’intensité de facteurs environnementaux sont très élevés. Dans la partie haute de l’estran, les organismes subissent un stress très important, lié au temps d’émersion¹ très élevé, et peu d’espèces ont réussi à s’y adapter. L’avantage pour celles-ci est que la compétition interspécifique y est donc modérée et qu’elles ont le champ libre pour y développer des populations abondantes. À l’inverse, dans la partie basse de l’estran, le stress subi par les organismes est amoindri mais la compétition entre les espèces est plus élevée puisque plus d’entre elles peuvent y vivre, la diversité spécifique y est donc élevée, mais chaque espèce a moins facilement d’espace pour s’y développer.

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Stress physiques et biologiques pour les organismes en haut de l’estran - © Morgana Tagliarolo

Les facteurs abiotiques, c'est-à-dire les facteurs physico-chimiques du milieu, sont de diverses natures. Le premier facteur déterminant est le temps d’émersion, qui impose aux organismes une forte variation des paramètres environnementaux. Lorsque la marée se retire et laisse les organismes à l’air libre (exondation), ils vont subir différents stress en particulier hydriques et thermiques. La dessiccation, correspondant à la perte d’eau, sera plus ou moins importante selon l’endroit où ils se trouvent sur l’estran. La température évolue grandement au cours d’une journée. En été par exemple, la température atteinte à la surface des rochers ou au sein des cuvettes littorales peut être très élevée, ce qui contraint la vie des organismes, et inversement, en hiver, les températures peuvent être très basses ce qui peut causer la mortalité des individus les moins résistants.

Le second facteur principal est l’hydrodynamisme. Les estrans peuvent être de type battu, c’est-à-dire fortement exposés à l’action des vagues, aux courants et à la houle (pointes rocheuses, caps…), ou bien de type abrité, là où l’hydrodynamisme est plus faible (criques et baies semi-fermées…). Dans les situations intermédiaires, on parle d’estrans semi-exposés ou semi-abrités. Les espèces présentes sur l’estran se sont adaptées à ces conditions, certaines ne se trouveront que dans les zones battues, alors que d’autres ne se développent qu’en zones abritées. Seules quelques-unes comme les huîtres creuses par exemple se rencontrent quasiment sur l’ensemble du gradient d’hydrodynamisme.

D’autres facteurs abiotiques comme la salinité sont très contraignants pour les organismes. L’estran, de par sa position d’interface entre la terre et la mer, reçoit des apports d’eau douce, au travers des précipitations et des ruissellements des cours d’eau terrestres. Ainsi, les organismes vivants habituellement dans des eaux salées à haute mer, doivent faire face à de grandes fluctuations de la salinité en quelques heures, leur métabolisme interne doit ainsi s’adapter aux chocs osmotiques induits par ces fluctuations halines (i.e. liées à la salinité). On parlera d’estrans “soumis aux conditions océaniques” et d’estrans “soumis à dessalure” dans les zones d’estuaires notamment.

¹  Temps que les organismes vont passer en dehors de l’eau

     3. La distribution des espèces sur l'estran est une résultante des conditions du   
         milieu :

  • 3.1. Chaque grand groupe taxonomique a pu adapter quelques espèces aux contraintes environnementales des estrans : structure taxonomique des biocénoses intertidales

Les estrans abritent des centaines d’espèces, appartenant à quasiment tous les groupes taxonomiques présents en milieu marin : 

    - Les Spongiaires sont des organismes très simples, qui se fixent sur des rochers ou des coquillages (éponges).

    - Les Cnidaires, des organismes pouvant être sous forme polype ou méduse et qui possèdent des cellules urticantes (méduses, anémones de mer…).

    - Les Bryozoaires, vivants en colonies et fixés sur des rochers, des algues ou des coquillages (botrylle étoilé…).

    - Les vers en particulier les annélides, qui peuvent être sédentaires vivant dans un tube fixé sur la roche, ou mobiles. 

    - Les Crustacés possèdent généralement une carapace (crabes, araignées de mer, homards, crevettes, balanes, puces de mer…).

    - Les Mollusques, grand groupe d’organismes au corps mou souvent protégé par une coquille (patelles, littorines, chitons, moules, huîtres…).

    - Les Échinodermes possèdent une symétrie pentaradiée et une peau épineuse (étoiles de mer, oursins, ophiures, concombre de mer…).

    - Les organismes plus développés possédant une notochorde (les Chordés) comme les ascidies qui sont encore des invertébrés comme les groupes évoqués ci-dessus et les Vertébrés : les poissons et les oiseaux qui fréquentent les estrans à basse mer.

 

NB : Il est ainsi possible de représenter la diversité spécifique sur un estran par sa structure taxonomique qui illustre l’ensemble des espèces présentes sur un estran rassemblées dans les groupes taxonomiques selon leur appartenance aux taxons communs (genre, famille, ordre, embranchement…).

  • 3.2. Comment les espèces ont pu s’adapter à l’émersion ? Variabilité d'adaptations morphologiques et de stratégies selon les groupes taxonomiques

Pour s’adapter aux facteurs du milieu, chaque groupe taxonomique a mis au point, au cours de l’évolution, des particularités comportementales ou morphologiques qui permettent à certaines espèces de vivre sur l’estran. Ainsi pour résister à l’exondation et à la dessiccation, il existe différentes stratégies qui varient entre les organismes mobiles et sessiles. Les patelles se fixent aux rochers hermétiquement pour garder un minimum d’eau sous leurs coquilles, tout comme les gastéropodes qui ferment leurs opercules, et les balanes qui ferment leurs plaques calcaires. Les anémones quant à elles se replient sur elles-mêmes et sont recouvertes d’un mucus, afin de ne pas se dessécher. Les macroalgues peuvent résister à une dessiccation modérée en ayant des frondes plus aplaties et superposées pour un effet protecteur ou en conservant une mince pellicule d’eau sur leurs tissus.

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Balanes, anémone fraise et différentes algues sur un estran à marée basse

Les organismes pouvant se déplacer, vont chercher à se mettre à l’abri sous des pierres, sous des algues, dans des fissures entre les rochers ou dans des cuvettes pour ne pas être directement exposés au soleil et maintenir une certaine fraîcheur. Enfin, certaines espèces préfèrent fuir l’estran le temps de la marée basse, pour les vertébrés marins tels que les poissons par exemple, ou lors de la marée haute, pour les espèces terrestres comme les oiseaux.

Afin de résister durant toute la période d’émersion, certaines espèces réduisent leur activité métabolique au minimum pour ne pas dépenser trop d’énergie et leur ressource en eau. C’est le cas des moules par exemple, qui minimisent ou arrêtent leur activité de filtration en attendant d’être de nouveau recouvertes par la marée, se retrouvant ainsi en situation d’anaérobiose (sans oxygène).

Pour s’adapter à la pression des vagues en milieu battu, les espèces ont développé diverses stratégies. Les macroalgues présentent un crampon plus large qu’en milieu abrité pour avoir une fixation au substrat plus efficace, tandis que les patelles par exemple, modifient la forme de leurs coquilles pour avoir un ratio surface/volume plus faible afin de bien rester fixé aux rochers. De plus, les coquilles et les carapaces des espèces de gastéropodes ou des crustacés sont plus épaisses en milieu battu pour assurer une meilleure protection face aux énormes pressions des vagues, ce qui est également efficace face à la prédation.

Ainsi, ces différentes adaptations, permettant de répondre aux conditions particulières des facteurs environnementaux et biologiques, expliquent la distribution des organismes sur l’estran. Effectivement, ceux-ci se répartissent selon leurs capacités à résister plus ou moins longtemps à l’exondation, en suivant un étagement vertical, du haut vers le bas de l’estran. Dans la partie haute, se retrouvent des espèces dites euryèces, capables de supporter de grandes variations des facteurs écologiques et la diversité spécifique est peu élevée. Dans la partie basse, se retrouvent les espèces dites sténoèces, qui ne peuvent pas supporter de grandes variations.

On peut ainsi définir (voir schéma ci-dessous) pour chaque espèce une zone de distribution spatiale qui se compose d’une zone centrale optimale dans laquelle les facteurs du milieu sont particulièrement propices à l’espèce, qui peut ainsi développer une population abondante, et de part et d’autre une zone où les conditions deviennent défavorables ce qui limite l’abondance de la population et l’espèce devient rare sur ces secteurs. Comme le résume le schéma ci-dessous, lorsque l’intensité d’au moins un des facteurs de l’environnement atteint des valeurs incompatibles avec la survie des individus, l’espèce est donc absente des estrans où se rencontrent ces conditions environnementales.

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Limites de tolérance des espèces selon l'intensité des facteurs écologiques

Enfin, même à niveau d’émersion équivalent, la répartition des organismes sera elle-même relativement disparate, en raison de l’hétérogénéité du substrat, à l’échelle d'un même site intertidal. Les micro-variations de topographie, de nature du substrat, créent une mosaïque dite de “microhabitats” qui sont plus ou moins favorables aux espèces pourtant bien adaptées à ce niveau. Les espèces qui se sont adaptées au même milieu de vie, en particulier celles qui vivent fixées, sont dites en compétition spatiale, la surface des roches ou des sédiments étant limitée. Les larves des espèces qui veulent se fixer doivent en effet trouver une place libre sur le substrat.

  • 3.3. Chaque grand groupe trophique a pu adapter quelques espèces aux contraintes environnementales des estrans : la structure trophique des biocénoses intertidales

Bien évidemment, une espèce, même adaptée physiologiquement aux conditions physico-chimiques de l’estran, ne peut vivre seule sans s’alimenter. Différentes ressources alimentaires sont disponibles dans la zone intertidale et sont exploitées par un grand nombre d’espèces dans la plupart des groupes taxonomiques. Les espèces qui exploitent le même type de ressource alimentaire sont donc en compétition trophique :

    - Les sels nutritifs dissous dans l’eau et l’énergie solaire sont utilisés par les algues (micro et macro, benthiques et pélagiques), elles sont dites producteurs primaires.

    - Les algues benthiques sont utilisées par les herbivores (micro brouteurs comme les patelles qui consomment les microalgues benthiques et macro brouteurs comme les oursins qui consomment les macroalgues), ce sont les consommateurs primaires.

    - Les débris organiques d’origine animale et végétale, les bactéries et divers microorganismes plus ou moins agglomérés formant ce qu’on appelle l’épiphyton ou périphyton, qui se dépose en fine couche sur le substrat rocheux ou sédimentaire : les espèces qui s’en nourrissent sont dites détritivores lorsqu'ils consomment des fragments de taille supérieure à égale au millimètre ou déposivores lorsque les particules sont de l'ordre de quelques microns à quelques dizaines de microns. Comme les déposivores, les suspensivores sont dits consommateurs secondaires.

    - De nombreuses particules, microorganismes et microalgues sont en suspension et transitent dans la masse d’eau au niveau du fond, c’est une ressource essentielle pour un grand nombre d’espèces qui sont dites suspensivores, qui filtrent l’eau par de nombreux mécanismes variés pour retenir cette matière organique en suspension.

    - Enfin, de nombreuses espèces animales constituent elles-mêmes la ressource alimentaire en étant la proie des carnivores. Ce sont les consommateurs tertiaires. Quasiment dans chaque grand groupe taxonomique se sont développées des espèces carnivores.

Ainsi, sur un estran, les espèces présentent peuvent être classées selon ces grands types trophiques, on parle alors de structure trophique de l’ensemble des espèces présentes. Le nombre d’espèces par groupe trophique sur un estran donné sera appelé “diversité trophique” (assimilée généralement comme un équivalent à “diversité fonctionnelle”).

  • 3.4. La variabilité de la structure des estrans a conduit a identifier et caractériser différents types d’habitats intertidaux sur les côtes Manche-Atlantiques : la typologie des habitats intertidaux

Les différents facteurs ainsi que l’étagement qui en résulte, ont conduit à l’établissement de conditions environnementales caractéristiques se succédant du haut en bas de l’estran. Ces conditions environnementales particulières définissent des biotopes (i.e. milieux de vie) différents permettant le développement de biocénoses spécifiques (i.e. groupes d’espèces vivant dans un même milieu de vie). En effet, les espèces adaptées aux mêmes conditions environnementales vivent dans le même biotope et tissent entre elles des interactions robustes et relativement stables. La reconnaissance et la description de ces biotopes et biocénoses associées formant ce qu’on appelle des “habitats” caractéristiques sur les estrans ont permis d’établir une “typologie d’habitats” qui constitue aujourd’hui la base fondamentale majeure de référence pour la description, la compréhension et la préservation des estrans.

Un habitat est donc défini comme un environnement pouvant se distinguer par son biotope, soit le milieu de vie, et sa biocénose, c’est-à-dire l’ensemble des êtres vivants qui y sont associés, dans un secteur géographique reconnaissable.

Afin de définir précisément par leur biotope et leur biocénose associée les milieux marins des côtes Manche-Atlantique, une typologie des habitats a été réalisée à échelle française et européenne. Après plusieurs versions successives liées en particulier à l’harmonisation nécessaire entre les approches européennes et la diversité des situations environnementales à différentes échelles biogéographiques, une nouvelle typologie a été récemment proposée par un groupe de travail national qui sert désormais de référence pour les habitats marins de la Manche, de la Mer du Nord et de l’Atlantique (Fiches descriptives des habitats marins et benthiques, PatriNat 2022). Elle s’applique donc aux estrans de Bretagne. Cette typologie est organisée en niveaux hiérarchiques et se base sur de nombreux critères comme le type de substrat, la granulométrie des sédiments, les facteurs abiotiques, les organismes présents et les différents étages de l’estran.

La variabilité de l'exondation du haut en bas des estrans, l’hétérogénéité du substrat combinée à l'hétérogénéité géomorphologique et hydrodynamique expliquent qu’au final se sont caractérisés de nombreux biotopes particuliers permettant l’établissement de biocénoses spécifiques et donc d’habitats intertidaux. En Bretagne, la diversité des types de côtes explique que quasiment tous les habitats définis dans la typologie nationale, voire européenne correspondant aux estrans y sont présents.

Pour lire un résumé de la typologie des habitats intertidaux, cliquer ici.

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