top of page
DO9A0230.JPG

L'écologie des estrans bretons

Le fonctionnement des estrans

Les estrans, parmi les divers écosystèmes marins, se caractérisent non seulement par leur structure particulière, mais aussi par un fonctionnement très original induit par l’alternance des phases d’exondation et de submersion qui ont induit des adaptations morphologiques, physiologiques et écologiques particulières pour les espèces qui y vivent.

     1. Qu'est-ce que le fonctionnement des estrans ? 

Le fonctionnement écologique représente tout ce qui concerne les relations des organismes entre eux et avec leur milieu. Il s’agit d’une part du cycle de vie des individus des différentes espèces, la manière dont ils se nourrissent, se reproduisent, etc. ; et d’autre part, les relations d’interdépendance entre les espèces, telles que la compétition pour l’espace, les relations trophiques, la compétition pour la nourriture, la prédation, le recyclage de la matière, etc. 

     2. Le cycle de vie des espèces adaptées aux spécificités de la zone intertidale : 

Dans la zone intertidale, et plus généralement dans le milieu marin, les organismes se développent de deux manières différentes. La première est le développement direct, cela signifie que le passage de l’embryon au jeune, puis à l’adulte, se fait sans changement de milieu ou de mode de vie. C’est le cas par exemple de la Nucelle (Nucella lapillus), dont les œufs sont de petites capsules fixées aux rochers et qui donnent naissance à des jeunes parfaitement formés et prêts pour mener une vie benthique.

Nucella lapillus ponte.jpg
Nucella lapillus adulte.JPG

Pontes de Nucella lapillus et individu adulte sur des blocs rocheux intertidaux

Le second mode de développement, est le développement indirect, dans lequel le passage de l’embryon à l’adulte se fait par un stade larvaire, généralement planctonique dans la colonne d’eau. Les larves subissent une ou plusieurs transformations appelées métamorphoses.

Cycle de vie Pecten maximus.png

Cycle de vie de la coquille Saint-Jacques - © Adapté par Christian Hily

La majorité des invertébrés benthiques connaissent un stade larvaire planctonique puis un stade benthique une fois adulte. Les larves sont issues de la fécondation des gamètes libérés par les adultes vivant à un endroit donné, puis elles vont dériver avec les courants marins dans une zone de dispersion qui peut être plus ou moins étendue et très variable au cours du temps. La période larvaire est très variable, et peut, selon les espèces, durer de quelques jours à quelques semaines. Certains biotopes sont plus favorables que d’autres pour la fixation sur le fond, la métamorphose et le développement des juvéniles, cela dépend de la physiologie des organismes et des conditions environnementales. En effet, dans la colonne d’eau, les larves subissent différents facteurs qui influencent leur distribution verticale et leur abondance. Sous forme planctonique, les larves sont photosensibles et ont la possibilité de réaliser des migrations nycthémérales, c’est-à-dire de se déplacer vers la surface pendant la nuit et vers le fond durant la journée. Cependant, elles restent très dépendantes de l’hydrodynamisme pour se déplacer et se fixer sur un substrat afin de se développer. La dispersion des larves planctoniques peut être très grande. Ainsi, lorsque les courants sont forts, les larves des espèces non adaptées ne peuvent pas se fixer, il y a une très grande sélection naturelle. Un hydrodynamisme plus faible, permet le dépôt des particules fines, et facilite la descente des larves sur le substrat, et en densité beaucoup plus importante. La localisation initiale du dépôt sur le substrat constitue une étape cruciale, car elle détermine l’endroit où les larves pourront se fixer et se développer en un stade post-larvaire. 

​

NB : la phase de dispersion larvaire à un rôle déterminant dans la dynamique et l’évolution de chaque espèce : en effet, une espèce à longue durée de vie larvaire aura plus de capacité à s’implanter dans des sites éloignés des aires de pontes, ce qui est un fort potentiel pour l’adaptation au changement climatique ou à une réinstallation de l’espèce dans un secteur après un aléa via des larves venant d’autres sites plus ou moins lointains.

​

Lorsque les larves planctoniques arrivent à se fixer sur le fond, il leur reste encore beaucoup d’étapes à parcourir pour survivre et donner un individu adulte, lui-même capable de se reproduire de nouveau. En effet, à chaque étape de leur cycle de vie, les espèces font face à des filtres environnementaux, correspondant à différents processus dans l’environnement qui influencent le devenir des organismes. Outre les premières phases de transport et la fixation dans un biotope favorable, le stress physiologique, la quantité de ressources alimentaires, la prédation et la compétition (spatiale et trophique) contribuent également à la mortalité ou à la survie des larves. D’après différentes études réalisées sur le sujet, seul une très petite partie des larves produites atteint les stades de juvéniles et d’adultes.

​

La phase de recrutement commence lorsque les larves deviennent benthiques et continuent leur développement sur le fond. Elles sont dites recrutées dans la population, signifiant que de nouveaux individus arrivent dans la population établie. 

Un biotope favorisant la fixation larvaire : les herbiers de zostères

​

Les herbiers de zostères sont des plantes à fleurs marines qui se développent sur des sédiments sablo-vaseux infralittoraux. Du fait de la densité des racines et de la couverture de feuilles, ils permettent de stabiliser les sédiments et d’atténuer l’hydrodynamisme, favorisant ainsi la fixation des larves pélagiques. Plusieurs centaines d’espèces peuvent vivre dans des herbiers afin de s’abriter, de se nourrir, se reproduire ou se développer. En effet, les herbiers de zostères agissent comme une zone de nurserie pour de très nombreux organismes en leur offrant des conditions optimales pour mener au mieux leur cycle de vie. 

herbier de zostères.JPG

Herbiers de Zostera marina et ponte de seiche

     3. Les interactions entre les espèces de l'estran, moteur du fonctionnement des estrans : 

Conjointement à ces différents facteurs environnementaux, les organismes sont également dépendants de plusieurs facteurs biotiques, correspondant aux interactions entre les êtres vivants, compétition, relations prédateur-proie, parasitisme. Sur l’estran, se met ainsi en place un réseau trophique marins très particuliers en raison des conditions de vie difficile, où les espèces mettent tout en œuvre pour assurer leur survie.

​

  • La compétition :

Elle peut être intraspécifique (au sein d’une même espèce) ou interspécifique (entre deux espèces). Les organismes sont en compétition pour les ressources alimentaires, l’espace disponible, la lumière…

​

  • Les relations prédateur-proie :

Lorsque l’estran est découvert, certaines espèces se retrouvent avantagées et peuvent plus facilement prédater les autres, et inversement, certaines espèces sont plus efficaces lorsque la marée est haute.

Par exemple, les gastéropodes du genre Nucella sont des prédateurs, se nourrissant de moules, de patelles ou de balanes en perforant leurs coquilles. Les étoiles de mer sont également des prédateurs importants, qui se nourrissent principalement de coquillages et de bivalves. 

Nucella lapillus prédateur.JPG

Nucella lapillus et Marthasterias glacialis

  • Le parasitisme :

Enfin, certaines espèces se développent dans, ou sur d’autres organismes, afin de les parasiter et de profiter de ces derniers. C’est le cas par exemple de la Sacculine (Sacculina carcini), un parasite du crabe vert qui se fixe sous son abdomen et qui puise ses besoins nutritifs directement à l’intérieur du crabe.

Les organismes de l’estran sont également organisés en grands groupes fonctionnels, notamment selon leurs modes d’alimentation. La manière dont ils interagissent entre eux permet un fonctionnement optimal de l’estran. 

​

À la base des réseaux trophiques intertidaux, se trouvent les producteurs primaires. Il s’agit des végétaux autotrophes, comme les algues et les herbiers de zostères, qui en réalisant la photosynthèse, produisent de la matière organique utilisée ensuite par les autres organismes. Au niveau trophique supérieur, il y a les consommateurs primaires, également appelés herbivores. C’est le cas des patelles et des littorines, des micro-brouteurs possédant une radula (langue munie de dents) pour consommer des microalgues, et des ormeaux qui sont des macro-brouteurs. Ensuite, il y a les consommateurs secondaires dont les modes d’alimentation varient selon les espèces. Ils peuvent être suspensivores en consommant des particules en suspension dans l’eau, dépositivores en se nourrissant de matière organique déposée sur le fond, détritivores en consommant des débris d’organismes ou encore nécrophages, en se nourrissant d’organismes morts. Enfin, dans les niveaux trophiques supérieurs, se trouvent les prédateurs qui sont carnivores, tels que les crabes, les anémones ou les nucelles. 

Illustrations Stage OBCE (2).png

Exemple de réseau trophique d'un estran

Exemple d'un mode d'alimentation commun à de nombreux groupes faunistiques, les suspensivores

​

Les organismes suspensivores captent les particules organiques présentes dans la colonne d’eau afin de s’alimenter. Ce mode d’alimentation est utilisé par de nombreux groupes d’invertébrés comme les éponges, les bivalves, les balanes, les ascidies et certains annélides, qui filtrent l’eau de manière active ou passive, pour récupérer les microorganismes et les débris organiques qui y sont présents. Par exemple, les balanes possèdent des cirres (appendices) qui permettent de capturer la nourriture et les moules créent un courant d’eau avec des cils vibratiles au niveau des branchies.

Comatule commune et Grande claveline

antedon_bifida-51_image1200.jpg
perforatus_perforatus-vl11_image1200.jpg

Cirres d'une grande balane grise

cils vibratiles d'une moule

© Jean-Philippe Colin

En interagissant entre eux, tous les organismes de l’estran ont ainsi un rôle dans les réseaux trophiques marins et présentent une niche écologique spécifique au sein des estrans. Le haut de l’estran comporte des espèces capables de supporter une forte dessiccation, la diversité d’espèces y est donc peu élevée, mais la compétition intra-spécifique y est forte. Par exemple, les balanes se disputent entre elles l’espace disponible sur les rochers afin d’être dans des conditions optimales pour vivre. Toutefois, elles doivent aussi partager l’espace avec les patelles et d’autres gastéropodes, comme Littorina saxatilis, qui recherchent les mêmes emplacements que les balanes. Le bas de l’estran regroupe une plus grande diversité d’espèces, mais la compétition inter-spécifique est plus importante. Plusieurs espèces se nourrissent des mêmes ressources alimentaires et en raison de la plus grande quantité d’individus regroupés au même endroit, les interactions entre eux sont plus nombreuses.

De plus, d’autres espèces interviennent ponctuellement dans interactions établies. À marée basse, différentes espèces d’oiseaux tels que les limicoles et les goélands, viennent se nourrir sur les estrans de crustacés, mollusques, vers et poissons. L’humain se rend également sur les estrans, pour y trouver des crustacés qui se sont mis à l’abri sous les rochers et divers organismes à consommer. 

Enfin, à marée haute, les espèces “cachées” de la dessiccation ressortent et les espèces pélagiques tels que les poissons reviennent au niveau des estrans. 

​

Ainsi, les interactions entre les organismes et entre les espèces sont nombreuses et variées. Chaque espèce a trouvé sa place sur l’estran, en fonction des paramètres environnementaux auxquels elle est adaptée, et en fonction de la compétition avec les autres qu’elle peut supporter. Tout cela permet d’expliquer le fonctionnement des estrans.

Le fonctionnement des estrans peut être résumé par la représentation du cycle de la matière et de l’énergie au sein des écosystèmes intertidaux résultant des interactions entre les espèces au sein des biocénoses.

     4. Le fonctionnement des estrans au coeur de nombreux rôles écologiques et services écosystémiques :

Par leur fonctionnement naturel, les écosystèmes intertidaux, zone tampon entre le milieu marin et le milieu continental, jouent de nombreux rôles écologiques essentiels pour l’environnement global, et pour les populations humaines (services écosystémiques). 

​

  • Ils assurent tout d’abord un rôle de filtre naturel en piégeant les contaminants terrestres vers le milieu marin et en interceptant les particules en suspension, ou les polluants, en provenance des océans. Ils contribuent de cette manière à améliorer la qualité de l’eau.

​

  • Ils servent d’habitats pour une grande diversité d’espèces, animales et végétales, en leur permettant de s’alimenter, se réfugier, se reproduire et en étant également une zone de nurserie pour de nombreux organismes.

​

  • Ils permettent de protéger les côtes et de lutter contre l’érosion. Ils amortissent les vagues et stabilisent les sédiments côtiers, en particulier avec les racines des plantes telles que les herbiers de zostères, qui aident à retenir les sols.

​

  • Ils sont importants dans les cycles des éléments nutritifs, notamment pour le carbone, le phosphore et l’azote. Au niveau des estrans, un processus de recyclage de la matière organique s’opère grâce à l’action des microorganismes, des bactéries et des détritivores. Ces organismes décomposent des débris comme les laisses de mer et les transforment en de la nouvelle matière organique, disponible pour les organismes marins.

​

  • Enfin, ils contribuent à la régulation du climat, en stockant du carbone organique dans les sédiments grâce aux herbiers de zostères et aux algues.

Pour en découvrir davantage sur les estrans bretons, cliquer sur l'une des thématiques suivantes

bottom of page