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L'écologie des estrans bretons

L'évolution des estrans

     1. Les estrans évoluent sous l'action de diverses pressions s'exerçant aux échelles locales et globales : 

Les estrans sont des milieux qui offrent de multiples services écosystémiques essentiels à l’environnement marin, mais ils sont de plus en plus menacés par les conséquences directes et indirectes des activités humaines agissant à l’échelle globale en bouleversant le climat et aux échelles plus locales. Ainsi, les enjeux sont énormes, d’autant que les estrans bretons présentent et cumulent tous les cas de figure.

Dans un contexte de changements climatiques à l’échelle globale, les estrans sont impactés de différentes manières. L’élévation du niveau marin, l’acidification des océans, l’intensification des tempêtes et l’augmentation de la température de l’eau, vont menacer les habitats côtiers et la biodiversité des estrans. À l’échelle de la Bretagne, plusieurs impacts sont déjà constatés comme une diminution du pH des eaux côtières, une augmentation de la température des eaux de surface, le développement d’espèces exotiques ou encore le recul des algues brunes. 

De plus, les estrans, en raison de leur attrait pour de nombreuses activités humaines, qu'elles soient professionnelles, récréatives ou touristiques, sont soumis à diverses pressions anthropiques qui viennent s'ajouter aux menaces liées aux changements climatiques. Ces pressions anthropiques peuvent être classées en deux catégories : ponctuelles et permanentes. Dans le premier cas, elles comprennent notamment la pêche à pied, le piétinement, les marées noires et les pollutions côtières qui perturbent le fonctionnement normal des estrans. En ce qui concerne les pressions permanentes, elles sont principalement associées aux mouillages des bateaux, à l'urbanisation côtière, à l'utilisation de peintures antifouling ou de pesticides, ainsi qu'à la surexploitation des ressources marines.

À titre d'exemple, les herbiers de zostères sont particulièrement touchés par les activités humaines, notamment le piétinement causé par la pêche à pied et l'ancrage des bateaux qui endommage les herbiers en arrachant une partie des plantes lors de leurs mouillages.

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Ancre d'un bateau au milieu d'un herbier de zostères

     2. Le changement sur les estrans de Bretagne, une réalité et des probabilités : 

Face aux pressions climatiques et anthropiques, les estrans commencent déjà à présenter un certain nombre de changements au niveau de leur structure et de leur fonctionnement. Un changement est considéré comme une modification durable des biotopes et des biocénoses, résultant de modifications dans les conditions environnementales et de pressions anthropiques comme le prélèvement. Il y a encore peu d’études sur la manière dont les estrans sont affectés et sur la manière dont la biodiversité va évoluer dans les prochaines décennies. Toutefois, plusieurs changements sont déjà constatés sur les estrans bretons. 

Les organismes benthiques qui ne se déplacent pas ou peu à de larges échelles géographiques sont de très bons indicateurs des changements au sein des habitats marins et permettent de les révéler plus facilement. De nombreuses espèces voient leurs populations diminuer ou se retrouvent de plus en plus menacées. C’est le cas des algues brunes par exemple, qui sont de moins en moins présentes sur les zones intertidales.

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Recouvrement d'algues brunes sur un estran à Quiberon, en 2015 à gauche et en 2018 à droite

Quels mécanismes physiologiques et écologiques expliquent les changements de répartition géographique observés chez les espèces intertidales ?

  • 2.1. L'évolution des biocénoses intertidales est liée au cumul des pressions anthropiques locales et globales

     ► L'envasement des estrans :

En Bretagne, de nombreux estrans connaissent un envasement notamment dans les zones abritées, induit par le lessivage des terres agricoles. Charriées par les cours d'eau, les fines particules minérales se déposent rapidement à leur arrivée en mer par la multitude de petits débouchés de ruisseaux, rias, estuaires. Cela conduit à un recul significatif des espèces sensibles à la présence d’un fort taux de vase dans le sédiment, la plupart du temps associé à un fort taux de matière organique, une baisse de l’oxygénation, voire une anoxie, ainsi qu'à l'augmentation de la turbidité des eaux.

Ce processus entraîne une modification des habitats intertidaux, y compris sur les estrans rocheux, perturbant les cycles de vie des organismes qui dépendent de conditions d'eau claire et stable. Les particules fines issues des sols agricoles transportées par les eaux de ruissellement s'accumulent dans, et sur les sédiments, et créent une couche fine sur les substrats durs perturbant les processus de fixation des larves sur la roche. Certains habitats de substrats de sables fins disparaissent ainsi au profit d’habitats de vase, avec des pertes irrémédiables de diversité.

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Forêt de laminaires dans une eau chargée de particules fines

     ► L'eutrophisation des écosystèmes côtiers :

L'eutrophisation des écosystèmes aquatiques est largement induite par l'apport excessif de sels nutritifs provenant des engrais agricoles, ainsi que des effluents urbains et industriels. Cette surabondance de nutriments, notamment de phosphore et d'azote, favorise la prolifération des algues à cycle de vie court, perturbant l'équilibre écologique. La décomposition de cette biomasse accrue consomme de grandes quantités d'oxygène dissous dans l'eau, entraînant des conditions hypoxiques, voire anoxiques. Ces conditions sont létales pour de nombreuses espèces sensibles à la diminution de la teneur en oxygène, provoquant des mortalités massives et une baisse de la biodiversité aquatique. La place laissée libre après ces mortalités facilite l’installation d’espèces adaptées à ces conditions environnementales dégradées, dites “espèces opportunistes”, à cycle de vie court, participant à l’homogénéisation et la banalisation des biocénoses, et la perte de biodiversité spécifique et fonctionnelle.

Les changements induits par l’eutrophisation sur les estrans peuvent à la fois être ponctuels (été par exemple) et localisés (une baie, une plage…) mais aussi beaucoup plus global en favorisant à grande échelle les espèces tolérantes, opportunistes qui s’implantent dans une large gamme de biotopes différents au détriment d’espèces spécialisées et sensibles qui ne peuvent de développer que dans un ou très peu de biotope.

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Estran en Baie de Douarnenez recouvert d'algues vertes

     ► L'exploitation des ressources marines et côtières :

L'exploitation intensive des ressources aquatiques, au travers de la pêche à pied et de la pêche au large, réduit drastiquement les populations adultes des prédateurs naturels (poissons et crustacés) au sommet des réseaux trophiques et compromet le recrutement de leurs juvéniles. La récolte excessive des algues de rive contribue également à la dégradation des habitats côtiers. La pression exercée par ces activités sur les écosystèmes marins entraîne une diminution des populations de nombreuses espèces, perturbant par effet de cascade l’ensemble des réseaux trophiques et diminuant la résilience des écosystèmes face aux changements environnementaux. La surexploitation des ressources halieutiques en provoquant des déséquilibres écologiques, est un facteur important dans le changement sur les estrans, amplifiant les effets liés à d’autres causes.

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Nombreux pêcheurs à pied sur un estrans lors d'une grande marée

     ► La prolifération d'espèces opportunistes :

À l’inverse, certaines espèces opportunistes et notamment de nombreuses espèces non indigènes (ENI) plus ou moins proliférantes sont avantagées par les changements climatiques, car une grande partie d’entre elles sont originaires de mers et d’océans (Asie en particulier) où la température moyenne des eaux est plus élevée qu’en Bretagne. C’est le cas de l’huître creuse du Pacifique (Magallana gigas) qui, grâce au réchauffement des eaux et à sa forte plasticité phénotypique¹, a pu se développer sur l’ensemble des littoraux bretons depuis une trentaine d’années, en générant des modifications profondes au sein des biocénoses intertidales. Un autre exemple d’une espèce introduite en Bretagne, est le Bryozoaire Watersipora subatra, très présent depuis quelques années sur les estrans bretons qui se sont développés suite aux activités d’aquacultures et au transport maritime mondial.

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Récifs de Magallana gigas et bryozoaires Watersipora subatra

Il existe également des espèces qui sont sensibles aux changements climatiques et aux pressions anthropiques, mais qui marquent une certaine tolérance sur les côtes bretonnes. Les herbiers de zostères par exemple, sont des habitats menacés à l’échelle globale et qui tendent à régresser, mais en Bretagne, ils ont tendance à s’étendre localement.

  • 2.2. Quelles conséquences sur les biocénoses intertidales ?

     ► Des modifications de l'aire de répartition géographique des espèces :

Certaines espèces montrent déjà des modifications de leurs aires de répartition et ce phénomène est amené à s’amplifier en termes de nombre d’espèces concernées et en termes de rapidité et amplitude spatiale des glissements. L’aire de répartition est la zone géographique dans laquelle vit une espèce ou une population, et celle-ci est amenée à évoluer selon les paramètres environnementaux que peuvent supporter les organismes. La Bretagne, d’un point de vue biogéographique, est une zone d’interface entre deux grandes zones bioclimatiques. Ainsi, elle est à la confluence d’espèces qui sont en limites nord de leurs aires de répartition et d’espèces pour lesquelles il s’agit de leurs limites sud de répartition. 

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Représentation des différentes provinces biogéographiques dans l'Atlantique Nord - © Tréguer et al., 2009

De ce fait, certaines espèces peuvent être amenées à se déplacer vers le Nord ou le Sud, en fonction des conditions climatiques qu’elles tolèrent. Il est avéré que certaines espèces disparaissent ainsi des estrans bretons, avec la régression de leur limite sud de distribution vers le nord. Actuellement, il semble qu’il y ait plus d'espèces animales à “progresser” venant des zones plus chaudes du golfe de Gascogne, que d’espèces régressant, par contre il semble que ce soit l’inverse pour les algues bien que cela reste à confirmer. 

Quelles sont les espèces intertidales qui montrent des changements récents de leur distribution en Bretagne ? 

     ► Des conséquences en cascades sur le fonctionnement des écosystèmes intertidaux :

En revanche, ces modifications de biocénoses ou d’aires de répartition, vont induire de nombreux changements dans la structure trophique des estrans et donc dans les interactions entre les espèces. Il s’agit d’effets indirects des changements climatiques, qui vont mener à la régression ou à l’augmentation des populations intertidales selon leur place au sein des réseaux trophiques. En raison de ces déséquilibres, les relations prédateur-proie et la compétition entre les organismes vont être bouleversées et vont impacter le fonctionnement des estrans. Par exemple, les méduses sont favorisées par l’augmentation de la température de l’eau, la surpêche de leurs prédateurs et la diminution de leurs compétiteurs, ce qui peut déstructurer le reste des réseaux trophiques auxquels elles font partie. Sur les estrans rocheux bretons, il est déjà observé un recul des fucales et des laminaires plus en profondeur, et la cause est multiple, de même la prolifération récente des poulpes qui semble être multifactorielle mais facilitée par le réchauffement des eaux côtières.

     ► Des programmes de recherche et des initiatives pour identifier et surveiller l'évolution des estrans, argumentaire pour les politiques de conservation de la biodiversité marine :

Afin de caractériser les changements qui s’opèrent sur les estrans de Bretagne, plusieurs initiatives sont mises en place, soit par les structures de recherche soit par le milieu associatif. C’est ainsi qu’existe depuis le début des années 2000 le Réseau Benthique REBENT, un dispositif qui cible certains habitats aux enjeux forts comme les herbiers, les bancs de maërl, etc., dans lesquels sont menées des suivis quantitatifs sur quelques sites témoins en Bretagne, permet de détecter des changements quantitatifs dans les biocénoses. À une autre échelle, les actions menées par l’association Bretagne Vivante, avec l'OBCE, en partenariat avec l’association VivArmor Nature, en caractérisant la distribution régionale des espèces en Bretagne et sa variabilité permettent de détecter les glissements des limites de répartition des espèces et la variabilité de leur présence (stabilité, fragmentation ou renforcement) au sein de l’aire de répartition. 

Ces résultats scientifiques sont autant d’arguments qui permettent de conseiller les instances de décision des politiques publiques et de faciliter la mise en œuvre d’actions de conservation de la biodiversité intertidale passant par la prévention, l’information et le déploiement d’outils de protection.

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Groupe de l'OBCE de Brest en pleine prospection sur un estran

Les outils de la conservation et protection des estrans en Bretagne

(en cours de construction)

  ¹ propriété d'un génotype donné à produire des phénotypes différents en réponse à des conditions environnementales distinctes

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